En novembre 2020, la Cour des Comptes publiait un passionnant rapport sur « la territorialisation des politiques du logement : consolider les acquis pour franchir de nouvelles étapes » (cf. Canol Actualités 92).
En février, la même Cour publiait un rapport sur l’application de l’article 55 de la loi SRU. Comme chacun le sait, ce texte adopté en 2000 et revu notamment en 2014, impose aux communes les plus importantes, que les logements sociaux y représentent au 31 décembre 2025, 20 ou 25 % des résidences principales, à atteindre, pour les communes à ce titre « déficitaires », selon un plan de marche à échéances triennales assorti d’un « prélèvement » annuel, fonction notamment des retards constatés à chaque échéance, voire du transfert à la préfecture de l’attribution des logements sociaux, de l’attribution des permis de construire… N’ayant pas tous les moyens de répondre à une exigence déjà complexe, assortie de sous-catégories de logements, et régulièrement aggravée de nouvelles contraintes, nombre de communes, même bien gérées (Tassin par exemple), voient compromis leurs budgets, leurs projets, leur autonomie.
Au 1er janvier 2019, cette exigence appliquée uniformément à tout le territoire, concernait 2 091 communes, dont 1 100 se retrouvaient « soumises SRU ». Parmi les 1 035 communes relevant du plan triennal 2017-2019, 485 seulement avaient atteint leur objectif quantitatif, et 280 étaient « carencées ». Signe des difficultés inhérentes à toute cette réglementation.
Soucieuse de prendre en compte les contraintes et les spécificités locales, il est défini par exemple un « indice local de tension du parc social » pouvant justifier des exemptions ou des délais pour certaines communes. Des contrats de mixité sociale entre préfet et collectivité permettent aussi des assouplissements, mais le rapport s’émeut de voir ainsi contrecarrer l’ambition SRU. Un nuage de douceur pour le contribuable dans la jungle administrative immobilière…
Pour ne rien arranger, la définition des logements sociaux a évolué et pourrait encore évoluer… en partie pour adapter la règle à la réalité.
C’est donc à juste titre que les maires de communes « carencées » (Sainte-Foy-lès-Lyon, Tassin-la-Demi-Lune, Francheville…) se plaignent au ministre… Il est en effet désormais clair que moins du tiers des communes concernées par ces dispositions complexes pourront atteindre l’objectif.
Selon ce rapport, les communes devant atteindre 20 % pourraient encore y parvenir en 5 ans (soit effectivement 2025) au rythme des villes qui ont le plus « produit », en 14, à leur rythme moyen. Pour les communes devant atteindre 25 %, il faudrait respectivement 11 et 30 ans… Cela fait autant de communes durablement tenues en laisse par le gouvernement.
Pour sauver les apparences, on envisage de se concentrer désormais sur le flux et non sur le stock de logements sociaux.
Après son constat de complexité et d’échec, le rapport formule 9 recommandations dont on peut douter qu’elles résolvent mieux le besoin général de logements en France. L’application de l’article 55 de la loi SRU réclame par ce rapport encore de façon cruelle, de nouveaux moyens.
Avec de pareils objectifs se développe par exemple le bail réel solidaire, variante du bail emphytéotique, par lequel la collectivité allège largement la charge foncière des bailleurs sociaux. C’est l’un des outils par lesquels la Métropole escompte produire 6 000 logements sociaux par an d’ici à 2026.
Plus spectaculairement, la Métropole a récemment préempté à 13,6 M€ un immeuble occupé, rue Bugeaud, dans le 6e arrondissement, pour le céder aussitôt à 6,8 M€ à un bailleur social SA HLM Immobilière Rhône Alpes, groupe Action Logement (prix du m2 environ 50 % des prix du secteur) : celui-ci peut ainsi économiquement proposer des loyers bien au-dessous du marché (encore) libre (mais bientôt encadré à Lyon comme à Villeurbanne), même si quelques travaux de rénovation s’avèrent nécessaires. La commune (ou ici l’arrondissement) s’attache ainsi durablement, au prix fort et à marche forcée, la charge d’une nouvelle clientèle des services sociaux… Sous combien d’années ces 33 appartements occupés seront-ils convertis en logements sociaux, alors que la Métropole n’en a plus la maîtrise ? La Métropole aura-t-elle un droit de regard pour vérifier leur mutation effective ?
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