« Opération Fortitude » : au printemps 1944, les alliés lancent une opération de propagande afin de faire croire aux Allemands que le prochain débarquement aura lieu dans le Pas-de-Calais.
Toutes proportions gardées, l’opération «OL Land» relève du même défi : comment persuader l’opinion que ce projet, qui a toutes les caractéristiques d’un centre commercial, est « un formidable vecteur de développement de l’Est Lyonnais, qui ne coûtera rien au contribuable, puisque financé par l’Olympique Lyonnais » ?
L’association CANOL a examiné ce qui se cachait derrière les intentions affichées par les thuriféraires du foot business.
Ce document constitue une synthèse de l’étude plus complète diffusée en janvier 2009.
« La rénovation du stade de Gerland est impossible »
Trois arguments sont avancés pour justifier l’impossibilité de rénover le stade de Gerland :
- Le stade est classé en zone « Seveso » : la modification en cours du Plan de Prévention des risques technologiques aura pour effet d’exclure le stade du périmètre de protection.
- Le stade est classé monument historique : la rénovation de l’opéra de Lyon également classé démontre qu’il est possible de procéder à une refonte d’un monument historique.
- Des contraintes techniques empêchent de créer 20.000 places supplémentaires : il paraît d’abord nécessaire de se demander si ces places supplémentaires sont indispensables. Une partie de la fréquentation du stade est actuellement pourvue par des achats de places et abonnements effectués chaque année par le Conseil Général du Rhône, la ville de Lyon et la Communauté Urbaine. Par ailleurs, des comparaisons avec l’étranger (Allemagne notamment) montrent qu’une capacité de 40.000 places est largement suffisante. Enfin, la probable augmentation du prix des places, la mauvaise desserte et la crise financière auront des effets négatifs sur la fréquentation.
En tout état de cause, l’augmentation de la capacité du stade est possible comme en témoigne une étude faite par des architectes en 2006.
En réalité, l’Olympique Lyonnais a imposé à la collectivité de construire un nouveau stade pour quatre raisons principales :
- La surface de 15 hectares disponible à Gerland ne permet pas au club sportif de développer des activités commerciales connexes fortement rémunératrices.
- L’Olympique Lyonnais ne veut plus dépendre de la ville de Lyon en tant que simple locataire «à titre précaire et révocable».
- Être propriétaire procure à l’OL un actif immobilier de nature à sécuriser son parcours boursier.
- Le Club sportif pourra librement valoriser tout ce qui se rapporte au stade : prix des places, nombre de loges, politique commerciale, programmation, valorisation de la marque via notamment le naming…
L’abandon du stade de Gerland par l’Olympique Lyonnais aura des conséquences financières désastreuses pour la ville de Lyon :
- privation d’une location annuelle de 1.000.000 €.
- inutilité des investissements adaptés à la pratique du football (32,6 M€ depuis 1998).
- nécessité de nouvelles dépenses pour diminuer la capacité du stade et améliorer la polyvalence des installations.
« C’est l’Olympique Lyonnais qui va financer le stade de Décines »
Il est au demeurant exact que le groupe Olympique Lyonnais va financer sur ses fonds propres et par emprunt la totalité de l’investissement directement nécessaire à la construction du stade (soit 350 M€ environ).
Mais l’éloignement du site de Décines (près de 15 kms du centre) et l’absence d’équipements vont nécessiter des investissements considérables de la collectivité publique (Etat, SYTRAL, Conseil Général du Rhône, Communauté Urbaine, ville de Décines), notamment pour la construction d’infrastructures de desserte : estimés initialement à 140 millions d’Euros début 2007, ces investissements ont été réévalués à 230 millions fin 2008. Les spécialistes s’accordent à penser que la facture finale dépassera 300 millions d’Euros.
Si le contribuable va payer l’équipement et les accès des 50 hectares de l’OL Land, c’est l’Olympique Lyonnais qui va encaisser les plus-values tirées de la valorisation du foncier : la communauté urbaine va vendre à l’Olympique Lyonnais les terrains à un prix de l’ordre de 40€ le m2. La transformation de surfaces agricoles de faible valeur en terrains constructibles permettra à l’Olympique Lyonnais de revendre à des investisseurs commerciaux pour un prix voisin de 300 € le m2, soit une plus-value de 65 millions d’euros.
Tout a été organisé pour que les dépenses incombant normalement à l’Olympique Lyonnais (ex : création de 11.000 places de parking) soient assumées par la collectivité.
« Le site du Grand Montout constitue le meilleur choix »
Ce site imposé par l’Olympique Lyonnais à des élus au départ réticents constitue le meilleur choix… pour l’Olympique Lyonnais et le plus mauvais… pour le contribuable.
Après l’abandon de la solution de rénovation du stade de Gerland, le site de Vénissieux s’imposait car il était proche de Lyon, bien desservi par les transports en commun et ne nécessitait pas de gros investissements publics.
Mais l’Olympique Lyonnais a fait prévaloir une fois de plus son intérêt en refusant d’acheter les terrains à leur vrai prix à Vénissieux alors qu’à Décines, le club peut s’offrir pour 20 millions d’euros 50 hectares équipés gratuitement par la collectivité publique et créer un centre commercial.
« Le stade respectera les contraintes environnementales les plus drastiques»
Les nuisances directes et indirectes du stade seront considérables :
- sachant que 80% des spectateurs utiliseront leur véhicule personnel pour rejoindre les 17.000 places de parking, il y aura 15.000 véhicules de plus sur le périphérique Est déjà saturé.
- la création d’immenses parkings va saccager un environnement jusqu’à présent protégé et mis en valeur par des exploitants agricoles.
- une nouvelle voie sur l’axe Nord-Sud (ancien projet LY6) permettant le déplacement des navettes entre les parkings et le stade va couper en deux le secteur fragile dit du «V Vert».
- les riverains seront perturbés par l’inévitable stationnement sauvage, le bruit et certaines formes de délinquance liées au hooliganisme.
«Le stade bénéficiera d’une desserte adaptée »
Selon l’OL, moins de trois années seront nécessaires pour construire le stade. Les délais de réalisation d’infrastructures importantes et complexes par la collectivité seront bien supérieurs, de telle sorte que lors de l’ouverture du stade prévue en 2013, une faible partie des équipements publics sera réalisée.
En tout état de cause, les études faites par la communauté urbaine et l’Olympique Lyonnais sont fantaisistes : les lignes de tramways LEA et LESLYS d’une faible capacité seront incapables d’acheminer le nombre voulu de spectateurs dans les délais nécessaires.
«Le stade participera au développement de l’Est Lyonnais»
Les avantages seront quasi-nuls :
– en matière fiscale :
La ville de Lyon a exonéré l’Olympique Lyonnais de la taxe sur les spectacles en 2003 et on imagine mal la municipalité de Décines parvenir à récupérer un avantage autrefois concédé avec légèreté. En tout état de cause, les rapports Besson et Seguin préconisent la suppression de cette taxe…
De même, la ville de Décines ne bénéficiera pas de la maigre taxe professionnelle qui sera versée par l’Olympique Lyonnais à la communauté urbaine.
Enfin, la vente des terrains dont Décines est propriétaire se fera au prix évalué par les domaines par référence à des terres agricoles non-aménagées.
– en matière d’emplois :
L’Olympique Lyonnais annonce la création de 1.500 emplois sur le site. Il n’apporte aucun élément permettant d’apprécier la nature des ces emplois, leur régime, leur destination. Dans tous les cas, le principe de non-discrimination à l’embauche (notamment géographique) interdira le recrutement privilégié d’habitants de l’Est Lyonnais.
Une grande partie de ces emplois ne seront en réalité qu’un simple transfert de l’activité commerciale actuelle existant à Gerland et dans le centre de Lyon.
– en matière de logements :
Aucun programme de logement résidentiel n’est prévu sur les 70 ha du site.
– en matière de commerces :
L’implantation d’un centre Leclerc et d’autres grandes surfaces fera concurrence au commerce local de proximité dont la situation est fragile.
– en matière de desserte par les transports en commun :
Les accès par la route et par les transports en commun prévus ont pour unique finalité la desserte du stade et n’apporteront pas d’amélioration significative pour les habitants de l’Est Lyonnais. Au contraire, les inévitables embouteillages sur le périphérique Est vont dégrader la situation actuelle déjà tendue.
– en matière d’équipements collectifs :
En dehors du stade, de plusieurs hôtels et de surfaces commerciales, rien n’est prévu pour améliorer le mode de vie des habitants de Décines comme la création d’un parc public, d’une bibliothèque, d’une piscine, etc…
«Le stade assurera la renommée internationale de l’agglomération »
Alors que, pour la création d’une supérette de quartier, des études de marché sont effectuées, il est frappant de constater que la communauté urbaine n’a pas fait la moindre étude pour mesurer les retombées du stade notamment en termes d’image.
Les documents officiels annoncent ces retombées comme un postulat évident qui n’est plus à démontrer. Lorsqu’il est interrogé, le président du Grand Lyon se borne à indiquer qu’on « lui parle de l’Olympique Lyonnais » lorsqu’il est à l’étranger, ce qui constitue un mince argument pour justifier une dépense supérieure à 250 millions d’euros.
Dans tous les cas, la réputation d’une équipe de football est par nature fragile puisqu’elle est liée principalement et même uniquement à ses résultats sportifs. Qu’adviendra-t-il si l’Olympique Lyonnais n’est plus champion de France, voire se déclasse en deuxième division, ce que nul ne souhaite d’ailleurs ?
«Le stade constituera un équipement d’intérêt général »
Le stade ne sera jamais un équipement d’intérêt général tout simplement parce qu’il a été conçu comme un vecteur de revenus financiers et commerciaux pour lesquels l’activité sportive est marginale.
- Aulas l’a indiqué à plusieurs reprises de la manière la plus claire.
Différents aspects le confirment :
- le stade portera le nom d’un sponsor (Danone, MMA, Adidas…) et non celui d’un quartier ou d’une célébrité.
- la programmation des manifestations sera du seul ressort de l’Olympique Lyonnais et ce dernier va privilégier les animations fortement rémunératrices (concerts, séminaires d’entreprise) plutôt que les assemblées d’associations caritatives ou les matchs amicaux de sportifs amateurs.
- la gestion du stade sera confiée à un prestataire privé et la communauté urbaine n’aura plus aucun contrôle ou pouvoir d’orientation sur le secteur.
« Le projet suscite un consensus »
Le maire de Lyon et plusieurs de ses adjoints étaient dans un 1er temps contre la construction d’un stade par l’Olympique Lyonnais. Puis ils ont fini par se rallier au choix de Vénissieux pour in fine se positionner en faveur de Décines après un lobbying intense de l’OL.
La plupart des associations de l’Est Lyonnais se mobilisent contre le projet, de même que des élus du secteur (le député Philippe Meunier, le maire de Meyzieu, Michel Forissier, le maire de Chassieu, M. Darlay, des conseillers municipaux de Décines…).
«Le stade de Décines sera une bonne opération compte-tenu de ce qui se fait ailleurs »
Pour justifier les dépenses considérables de la collectivité, différentes comparaisons sont avancées :
- l’Opéra le Lyon : cet opéra coûte en effet très cher au contribuable, mais il s’agit d’un établissement culturel. Les subventions municipales servent à équilibrer les charges de gestion d’un service public qui ne peut s’autofinancer et non à enrichir une société cotée en bourse et ses actionnaires.
- Eurexpo : on se trouve encore en présence d’une installation d’intérêt public et les investissements de la collectivité notamment pour améliorer la desserte de cet équipement sont justifiés.
- Les stades de Paris (Stade de France) et de Lille (en cours de construction): par le mécanisme juridique de la concession ou du partenariat public/privé, la collectivité trouve au moins deux avantages : elle conserve un contrôle sur un équipement qui demeure affecté au service public, le partage des risques est équilibré de telle sorte que si l’exploitation du stade devient profitable, la ville voit augmenter la redevance qui lui est due (pour le stade de Lille, le LOSC versera à la communauté urbaine une redevance de 7,5 M€ par an).
Aucune des opérations précitées (et on pourrait ajouter la Confluence et le Carré de Soie) n’a donné lieu à de la spéculation foncière suscitée par la collectivité au profit d’une entreprise privée.
En réalité, l’OL Land est le seul exemple où le club sportif accapare toutes les ressources financières et laisse à la collectivité toutes les dépenses improductives.
«Un nouveau cadre légal donnera une assise juridique au stade»
Les concepteurs de l’OL Land ont fini par admettre en octobre 2008 que le projet n’était pas conforme à la législation existante interdisant le financement par la collectivité d’infrastructures d’accès à un stade privé. Qu’importe, il suffit de changer la Loi !…
… Dans la nuit du jeudi 22 janvier 2009, M. Mercier, président du Conseil Général du Rhône, a déposé au Sénat un amendement à un projet de loi, avec l’appui de M. COLLOMB, président du Grand Lyon, prévoyant que les « stades et enceintes sportives (…)sont d’intérêt général ainsi que les équipements connexes permettant le fonctionnement de ces installations. (…) Les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent réaliser ou concourir à la réalisation des ouvrages et équipements nécessaires au fonctionnement et à la desserte des stades et enceintes sportives ».
Nouvel exemple de l’instrumentalisation du politique par le groupe Olympique Lyonnais avec ce projet de loi sur mesure qui déroge aux règles fixées par le droit européen.
L’argent public ne doit pas être utilisé pour le financement d’intérêts particuliers… mais pour des investissements productifs pour l’ensemble des contribuables.
Pourquoi les habitants du Grand Lyon devraient-ils donner 250 € chacun pour que les matchs de l’OL aient lieu à Décines plutôt qu’à Gerland ? Demandons-leur leur avis !
L’amendement déposé par Messieurs MERCIER et COLLOMB n’a pas été voté par les députés, la commission mixte paritaire composée de 7 sénateurs et 7 députés ayant rejeté cet amendement.
Mais ils n’allaient pas en rester là !
Une nouvelle tentative est faite, cette fois-ci directement par le gouvernement !
A l’intérieur d’une loi sur le tourisme, qui n’a donc rien à voir avec le sport, le gouvernement a introduit un article » permettant aux enceintes sportives d’être classées d’intérêt général « .
Celui-ci reprend dans les mêmes termes l’amendement refusé le 28 janvier par la commission paritaire du Parlement dans le cadre de la loi sur l’accélération des programmes de construction.
Article 28
I. – Les enceintes sportives figurant sur une liste fixée par arrêté du ministre chargé des sports, destinées à permettre l’organisation en France d’une compétition sportive internationale ou à recevoir, à titre habituel, des manifestations sportives organisées par une fédération sportive délégataire au sens de l’article L. 131-14 du code du sport ou une ligue professionnelle au sens de l’article L. 132-1 du même code sans condition de discipline et de capacité, ainsi que les équipements connexes permettant le fonctionnement de ces enceintes, sont déclarés d’intérêt général, quelle que soit la propriété privée ou publique de ces installations, après avis de l’ensemble des conseils municipaux des communes riveraines directement impactées par leur construction. Ces conseils municipaux se prononcent dans un délai de deux mois à compter de leur saisine par le représentant de l’État dans le département, qui établit la liste des communes impactées.
Il permet donc, contrairement à la législation européenne, de déclarer » d’intérêt général » toute structure d’aménagement indispensable à la construction d’un stade privé. Les expropriations deviennent possibles, le financement public des structures nécessaires à l’implantation d’un complexe privé l’est désormais aussi.
Le choix des structures aidées sera fait par le secrétariat d’état au sport.
Les députés UMP du Rhône, tous opposés à ce projet, n’ont pu empêcher que cette loi soit votée.
Cet article » scélérat » devrait faciliter le financement public du stade que l’OL veut implanter à Décines, à moins que les communes environnantes donnent un avis contraire (qui n’est cependant que consultatif !) ou que la Ministre des Sports se satisfasse du stade de Gerland qui, il est bon de le rappeler, respecte les normes exigées pour l’EURO de football 2016.
Les associations opposées à ce projet ne baissent pas les bras pour autant et continueront à se battre pour empêcher que l’argent des contribuables soit gaspillé pour ce projet dispendieux et contraire à l’intérêt local.