Dans les marchés publics, les élus sont prêts à gaspiller l’argent public pour faire plaisir aux électeurs.
Les marchés publics sont un prétexte de choix pour le populisme.
Une décision du conseil d’État (CE n° 406224 du 30 mars 2017 – Région Réunion) a été analysée dans les colonnes du Moniteur du BTP.
Dans cette affaire, la demande d’une entreprise dont l’offre avait été écartée pour suspicion de prix anormalement bas a été logiquement rejetée faute pour elle d’avoir apporté les justifications suite à la demande de la collectivité.
Au delà de cette décision incontestable sur la forme, l’un des considérants (n° 14) ne manque pas d’attirer l’attention :
« Considérant, en premier lieu, qu’il résulte de l’instruction que la région Réunion a, pour la détection des offres anormalement basses, utilisé une méthode de calcul préconisée par la charte pour la détection des offres anormalement basses et le choix de l’offre économiquement la plus avantageuse signée le 26 mars 2012 sous l’égide du Haut conseil de la commande publique, qui a permis de révéler un écart manifestement important entre l’offre du groupement GIP FCIP-GRETA Réunion et la moyenne pondérée des offres valables reçues ; ».
Cette méthode de calcul, comme toutes celles qui lui ressemblent, se fonde sur des éléments statistiques (moyenne ici, moyenne et écarts types ailleurs) pour déterminer une présomption de prix anormalement bas.
Or, s’il est déjà difficile de faire de la statistique lorsque le nombre d’échantillons est inférieur à une centaine, avec une dizaine, cela n’a aucun sens.
C’est pourquoi ces méthodes, apparues il y a environ 30 ans, n’avaient jusqu’à ces dernières années pas connu de succès, tant elles étaient absurdes. Le professionnalisme des acheteurs publics suffisait pour décider si un prix bas nécessitait une justification.
Si on peut être étonné de la bénédiction donnée par le Haut conseil de la commande publique à cette charte, on l’est plus encore par le choix d’une offre dont le prix était inférieur de 30 % à celui d’une autre elle même présumée anormalement basse.
Il faut croire que l’acheteur public ne connaissait rien aux prestations de formations pour avoir besoin d’une méthode statistique afin de détecter une anomalie d’une telle ampleur. Il fallait par ailleurs une quasi absence de description des prestations pour que ces écarts puissent s’expliquer.
Le commentaire final a également attiré notre attention : l’objectif de la détection des offres anormalement basses serait de « sanctionner l’offre anormale nuisant à la concurrence déloyale et qui risque de mettre en péril la bonne exécution du marché… » .
Au delà de sa formulation cocasse, il illustre l’évolution de nos pratiques, la lutte contre la concurrence déloyale (en quoi est-elle déloyale, et comment peut-on en juger ?) passant largement avant la l’efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics.
Ceci est à mettre en parallèle avec un précédent article (Les acheteurs publics des Hauts de France phosphorent pour favoriser l’emploi local – 14/03/2017) dans lequel on pouvait lire : « Ce changement de l’importance du prix dans les offres va permettre d’éliminer le moins-disant», se félicite Jean-François Devillers…
Ceci dénote une conception très singulière du choix de l’offre économiquement la plus avantageuse, qui, jusqu’à preuve du contraire devrait consister à choisir à avantages objectivement équivalents l’offre la moins chère. Il est vrai que la France n’a qu’un peu plus de 2000 milliards de dettes…
On a l’impression que tout le monde a oublié que les règles de passation des marchés publics ont pour but le respect de l’article 1er de l’ordonnance du 23 juillet 2015 : assurer l’efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics.
Le 4 mai, on apprend qu’une circulaire du ministère du travail pointe l’illégalité de la clause Molière pour discrimination, invalidant ainsi les pratiques de la région ARA.
Pendant ce temps, dans la campagne électorale, nous avons assisté à une surenchère sur le « protectionnisme intelligent » et le « patriotisme économique », certains voulant réserver 50 % des marchés publics aux entreprises française, d’autres 75 %.
En réalité, plus de 90 % (en nombre) des marchés publics sont déjà attribués aux entreprises françaises ; seuls les produits fabriqués à l’étranger (ordinateurs par exemple) y échappent, bien entendu.
Ces exemples montrent le désir de faire progresser un système connu : le capitalisme de connivence.
Et qui paye ? Les contribuables, bien sûr.