« La France est un État de droit », s’est bruyamment félicité le président de l’Assemblée nationale à propos de l’enquête sur l’affaire De Rugy.
Lors de la campagne pour les élections européennes, 9 têtes de listes ont signé le plaidoyer de Transparency France pour l’État de droit, l’éthique et la transparence. La France avec 72/100 d’IPC en 2018 (Indice de perception de la corruption mesuré par Transparency International), est toujours loin de briller parmi les meilleurs…
Alors, la France est-elle un État de droit ?
D’abord, qu’est-ce qu’un État de droit ?
On pourrait résumer en disant que c’est un État dont la puissance publique est soumise au droit, ce droit étant au service des droits fondamentaux de l’homme, matérialisés dans notre constitution par la déclaration des droits de l’homme.
Penchons-nous un instant sur l’achat public.
Depuis longtemps, la loi et la réglementation ont fixé des règles destinées à éviter le favoritisme, qui nuit gravement à la performance de l’achat et appauvrit les contribuables. C’est formulé dans les deux phrases les plus importantes et les plus connue (ou qui devrait l’être) de tous les acheteurs publics :
« Les marchés publics (…) respectent les principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures.
Ces principes permettent d’assurer l’efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics. »
Depuis deux décennies, le code est détricoté pour rendre inopérantes les règles censées respecter les principes.
La nature et l’étendue des besoins à satisfaire doivent être déterminés avec précision.
Ce n’est pas le cas, et latitude est laissée aux candidats de proposer des prestations, évaluées ensuite de manière discrétionnaire.
Les marchés fractionnés (à tranche ou à bons de commande) ne pouvaient être utilisés que lorsque la passation d’un marché ordinaire était impossible.
Dans les marchés à tranches, un minimum et un maximum devaient être fixés (avec une amplitude de 1 à 4), sauf impossibilité justifiée.
Aujourd’hui, les collectivités passent des accords cadres (marchés à bons de commande) sans maximum, leur permettant de passer ensuite des commandes sans aucune transparence et aucune limite.
Le choix des offres doit se faire sur la base de critères objectifs et précis.
Ce n’est pas le cas, les offres étant choisies de façon arbitraire sur la base de critères subjectifs, dont la pondération marginalise le prix.
La transparence est absente : les acheteurs publics déploient des trésors d’ingéniosité pour passer les marchés dans la plus grande opacité, et même les avis de publicité obligatoires sont mal remplis ou illisibles.
Il y a 10 ans, les acheteurs publics se plaignaient de la complexité d’un code des marchés publics comportant 136 articles. Depuis 2018, les règles son enfouies dans le code de la commande publique qui en comporte plus de 1 700.
Dans un État de droit, on devrait au moins pouvoir exiger le respect des normes qui ont échappé à ce massacre.
En qualité de tiers au contrat public, CANOL est régulièrement déboutée de ses recours devant le T.A., faute de pouvoir prouver le montant des deniers publics gaspillés, et sans que les irrégularités commises soient examinées. De plus, la lenteur des procédures ôte tout intérêt à ces recours.
Le représentant de l’État n’exerce pas son contrôle et refuse d’intervenir.
Restent les rares candidats courageux, qui auraient une chance de faire reconnaître les irrégularités en référé précontractuel. Mais le droit français interdit au juge de se prononcer sur les décisions de l’acheteur, en particulier sur la notation des critères subjectifs de choix de l’offre.
Tout ceci se passe au vu et au su de tous ceux qui veulent bien regarder.
Nous avons de la chance : le risque d’être cueillis à l’aube et éliminés ou embastillés pour tenir de tels propos est faible.
Merci l’État de droit !
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